Puerto Eden : dernier refuge des Alacalufes

Chili : la traversée du mythe patagon (3). Ce nom à la musique paradisiaque sonne étrangement dans les fiords patagons. Depuis la découverte de ce bout du monde par Ferdinand Magellan en 1520, les hommes n’ont cessé de juger hostile cette terre « où s’étend la malédiction de la stérilité » écrivait Darwin. « Exotique, monstrueuse, mais fatalement séduisante » la décrivait Melville. La Patagonie appelle et interpelle au plus profond des êtres, crée une caisse de résonance à la misère humaine. Le marin qui s’aventure dans les canaux traversera le golfe des Peines, l’anse Fatale et passera la cap Malfaisant.
Aujourd’hui, la centaine voyageurs en route pour la province du Dernier Espoir, a la possibilité de débarquer à Puerto Eden là où vivent les derniers Alacalufes. L’une des quatre tribus indiennes qui peuplaient jadis les lieux, ces nomades aguerris des canaux patagons.

Il n’y a plus que quatre représentants et les femmes sont malheureusement frappées de stérilité. « Vous pouvez discuter avec eux, ils sont ouverts. Vous pouvez aussi leur acheter leur artisanat », lit-on sur les prospectus publicitaires à bord. Je me sens gênée, coupable. En 1878, les membres d’une famille alacalufes avaient été montrés à l’exposition universelle de Paris comme des bêtes. La terre du bout du monde était devenue lieu de massacres et de honte.

Derniers survivants

En 1940, alors que le mal était déjà fait, Puerto Eden fut choisi pour héberger les derniers survivants indiens.

« On dirait que notre étrange civilisation qui ne comporte aucune lutte contre la nature, mais plutôt une fuite pour l’éviter porte en soi un germe de mort qui contamine » déplorait  Subercaseaux.
Je débarque et pose un pied peu assuré sur le quai de Puerto Eden. J’ai une heure, pas plus. Je me mets en marche et traverse la lande au hasard. Le petit village aux maisons colorées est coquet, simple avec des chats angora devant les chalets en bois. Tout est calme excepté le vent, qui en maître des lieux tourbillonne dans le fiord. Il pleut, de gros nuages noirs sont accrochés aux montagnes. Ici les rayons de soleil ne caressent quasiment jamais les peaux.
Le long d’une passerelle en bois des femmes vendent leur artisanat. J’achète une carte, parce qu’elle est jolie, parce que ce lieu m’a parlé, parce qu’il y a des regards aussi brefs soient-ils, qui vous marquent à jamais.
Puerto Eden alacalufe
Les Quarantièmes rugissent. Un vent glacial souffle . Le navire fend une mer verte puis blanchâtre, les premiers blocs de glace glissent le long de la coque. Dans ce petit coin reculé de la Terre rien n’arrête les éléments, aucune ruse humaine n’a pu encore les dompter. Tant de grandeur et de beauté fait naturellement courber l’échine, tomber les barrières et oublier les rancœurs. Droit devant, Pie XI impose son mur de glace aux veines bleues. Nous restons, interdits, sur le pont du cargo attroupés à la façon des pingouins empereurs pour mieux nous protéger du froid et de la pluie.
La calotte glacière de Patagonie, la troisième après l’Antarctique et le Groenland, c’est près de cinquante glaciers. Pie XI est l’un des plus impressionnant.
Des blocs entiers se détachent et s’abîment dans un sourd fracas proche du grondement du tonnerre. Il en sera ainsi jusqu’à la fin de l’été.  Alors que le cargo vire de bord, je ne peux décrocher mon regard de cette merveille jusqu’à ce que la brume et la nuit patagonne la protège à nouveau des regards indiscrets.
Laurence Dupont
glacier patagonie

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