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Rencontre avec Hélène Collongues fondatrice d’Ikamaperu

Hélène a été témoin du massacre de la biodiversité au Pérou, alors qu’elle rédigeait un mémoire sur les communautés indigènes. Très vite, elle s’est engagée avec son mari auprès de la communauté Awajun pour créer un projet de conservation et de réhabilitation de singes laineux. 

Hélènes Collongues : pouvez-vous nous éclairer sur les origines du projet d’Ikamaperu ?

Le projet a commencé en 1994. L’histoire d’Ikamaperu a débuté dans le nord-est de l’Amazonie péruvienne. Alors que j’étudiais les représentations des amérindiens dans la société péruvienne, nous étions partout témoins du grand massacre de la biodiversité dans l’impunité la plus totale. En travaillant dans les communautés indigènes Awajun de l’Alto Mayo, je mesurais les répercussions dramatiques de l’économie de marché et de la monoculture sur la vie, la culture et l’âme même de ces sociétés de la forêt.
C’est dans ce contexte que nous avons commencé à soigner des animaux sauvages blessés, mon mari Carlos étant ingénieur  zootechnicien, jusqu’au jour où on nous a apporté un petit  singe laineux mourant. Avec les singes atèles, c’est l’espèce de primates la plus chassée et la plus menacée au Pérou. Je suis allée demander conseil auprès des communautés Awajun de l’Alto Mayo qui ont une relation particulière avec ces primates. C’est là que j’ai rencontré ma grande amie Albertina.

Albertina est la femme Jivaro à qui vous avez consacré un livre, publié en 2022 chez Actes Sud. Qui était-elle ?

Oui, le livre s’appelle « Uyaïnim, mémoires d’une femme Jivaro ». Albertina, qui est décédée en 2013, était une grande amie à moi. Ce livre est le récit de sa vie  qui se déroule dans une forêt amazonienne encore intacte pendant son enfance et qui vivra  tous les grands changements  historiques de son peuple auxquels elle participe en tant que dirigeante. Nous travaillions ensemble dans des communautés isolées et je passais des nuits à écouter avec émerveillement cette conteuse exceptionnelle qui me faisait découvrir  la poésie et la complexité de son univers.

Quelles étaient les causes du massacre de la biodiversité  ?

Ce massacre de la biodiversité est multi-factoriel. A cette époque, et jusqu’à maintenant il y a des vagues migratoires importantes vers le bassin de l’Amazonie depuis les Andes. Les nouvelles personnes qui s’installent ne connaissent pas l’écosystème amazonien et sont donc beaucoup plus susceptibles de le détruire. De plus, l’économie de marché a bouleversé les pratiques. Les populations qui pratiquaient une chasse de survie, pour se nourrir, se sont mis à pratiquer une chasse commerciale. Là où jadis 3 singes étaient tués pour nourrir la famille, 15 étaient alors massacrés pour alimenter le commerce illégal. De nombreuses femelles étaient chassées pour les petits. Or, il faut savoir que les singes laineux ne se reproduisent qu’une fois tous les 3 ans.
La politique de la Banque mondiale a également causé la destruction de la biodiversité en favorisant des investissements pour le développement de l’élevage et de la monoculture. A cela, s’est ajouté le trafic de bois illégal qui en ouvrant des routes au cœur de la forêt a facilité la pénétration des braconniers. Enfin, la corruption et l’absence d’intérêt des autorités aggravent la situation.

Quand est-ce que le premier sanctuaire a-t-il été créé ?

En 1997, avec l’aide des communautés Awajun, nous avions alors créé le premier sanctuaire à Tarangué, devenu l’unique lieu de réhabilitation en liberté pour les singes laineux et atèles issus du trafic au Pérou. Il fallait toutefois prendre le mal à la source ; la chasse commerciale et le trafic illégal de la faune. C’est dans ce but que nous nous sommes installés au cœur du bassin amazonien à la Media Luna aux portes de la réserve nationale Pacaya Samiria. Située au milieu des populations de chasseurs et sur la route du trafic fluvial, la Media Luna devait devenir le lieu idéal pour la conservation de la vie sauvage avec l’acquisition de la forêt du Shiringal de 60 hectares devenu le centre de réhabilitation des primates .

En 2005 vous vous êtes finalement installés au coeur du bassin amazonien…

 Nous nous sommes rendu compte que, dans le sanctuaire de Tarangué, nous allions continuer à recevoir et à réhabiliter des animaux sauvages dans un éco système qui n’était pas tout à fait le leur, sans toutefois agir à la source des problèmes : le trafic et le braconnage. Nous avons donc fait le choix de nous installer au centre des trafics d’animaux sauvages, là où se trouvent les chasseurs, pour mieux comprendre leurs difficultés et les sensibiliser à la protection de la biodiversité. Cet endroit s’appelle la Media Luna. Il est situé au cœur du bassin amazonien. Nous nous y sommes installés en 2005. La Media Luna a également pour avantage d’être à proximité de la réserve nationale Pacaya Samiria dans laquelle nous menons  des études scientifiques avec l’aide de biologistes et de primatologues, dans le but de relâcher des animaux pour renforcer des populations sauvages très affaiblies…

Comment s’organise le sanctuaire de la Media Luna ?

Le centre est divisé en deux parties. Une partie de forêt haute, composée de grands arbres. C’est le domaine des primates et de tout un petit monde sauvage ; La deuxième partie se situe au bord du fleuve. C’est le domaine des écovolontaires. Le sanctuaire fait 80 hectares. Lorsque nous l’avons acheté, il y avait 25 hectares de pâturages. Nous avons décidé, en 2006, de le laisser en régénération spontanée. Le résultat est étonnant, beaucoup d’animaux  se sont installés, des oiseaux de toute sorte,  primates  fourmiliers pacas  batraciens, ils ont contribué à régénérer la forêt qui compte déjà des centaines d’espèces différentes. Aujourd’hui, une équipe locale de cinq personnes travaille à la Media Luna.

Quelles actions avez-vous mises en place pour sensibiliser la population à la préservation de l’environnement ?

Notre travail de sensibilisation s’est essentiellement porté sur les enfants car, c’est une population qui est très réceptive, et qui influe sur leurs familles. Nous avons créé un centre d’éducation environnementale où tous les enfants du village sont reçus. Le travail se fait généralement en dehors des heures scolaires dans le centre appelé Kaysuni. Nous touchons environ 60 enfants par semaine. En dehors de ces sessions régulières, nous intervenons dans les écoles primaires et secondaires de manière plus ponctuelle sur des thèmes bien précis. Dans ce cadre-là, nous touchons un public beaucoup plus large. Il y a à Lagunas 7 écoles primaires et 3 écoles secondaires. Ce qui représente 1700 élèves au niveau primaire et 600 élèves au niveau secondaire. Nous leur offrons une ouverture sur le monde autre que celle des réseaux sociaux.

Le braconnage et le trafic illégal d’animaux sauvages sont-ils toujours un problème dans la partie amazonienne du Pérou ?

Oui, malheureusement ces problèmes sont toujours d’actualité. Mais, petit à petit, on voit émerger une conscience plus grande sur la nécessité de vivre en respectant le vivant. La radio comme le cinéma itinérant et le théâtre de marionnettes sont des outils précieux pour une population de culture essentiellement orale. J’ai également fait un petit livre pour les enfants en leur racontant l’histoire d’un petit singe laineux victime du trafic et sauvé par des enfants… Grâce à ces actions, nous avons eu la surprise de voir des gens, qui avaient chez eux des singes laineux, venir nous les donner. Les animaux que nous parvenons à récupérer ont souffert de nombreuses carences,  très mal nourris et isolés ils présentent souvent de nombreux troubles.

Quel est le parcours d’un bébé singe laineux lorsqu’il arrive au sanctuaire ?

Il y a tout un processus. Les bébés singes ont dans un premier temps une maman de substitution. Sans cela, ils se laissent mourir. Il faut que quelqu’un s’en occupe quasiment 24h/24h. Ensuite, on cherche à les placer dans un groupe au sein d’un enclos. Un groupe de bébés singes, puis dans un deuxième temps, un groupe d’adultes. Petit à petit, on les amène sur des plateformes où ils vont faire leur premiers pas en forêt. Ces plateformes leur donnent accès a la grande forêt sous la surveillance des soigneurs. Ensuite, ils vont s’intégrer dans le groupe d’adultes. Là, ils vont être une bonne partie de la journée en extérieur avant de rentrer en soirée. On essaye de former des groupes de primates  que l’on puisse libérer. Pour cela, on évalue leurs réactions face aux prédateurs, leur locomotion… Sont-ils solidaires ? Sont-ils capables de chercher la nourriture tout seuls ?


Lorsque l’on a formé un groupe capable de survivre, commencent les longues formalités administratives et vétérinaires bien sûr pour qu’ils puissent être relâchés en milieu sauvage. En 2012, nous avons avec l’aide de scientifiques relâché dans la réserve Pacaya Samiria un groupe de singes laineux et un groupe d’atèles que l’on a pu suivre sur environ six ans. Les résultats en termes de survie ont été remarquables. Aujourd’hui, les conditions pour faire des relâchés dans la réserve sont devenues difficiles. Il a donc fallu trouver d’autres endroits très éloignés de toute présence humaine pour libérer les primates.

Vous recevez des écovolontaires et des stagiaires. Quel est leur rôle ?

Nous proposons des stages, des missions d’écovolontariat et des séjours écosolidaires. Les stagiaires sont encadrés par notre primatologue  Justine. Ceux qui ont entre 18 et 30 ans et qui sont disponibles au moins un mois, peuvent candidater pour une mission d’écovolontariat. Le rôle des écovolontaires est de soutenir les différentes activités du projet et l’équipe dans les tâches quotidiennes, par exemple les soins aux animaux, l’aide à la préparation des repas, le nettoyage des enclos, l’accompagnement en forêt de l’équipe pour observer le comportement des primates en réhabilitation, les plantations dans le cadre du programme de reboisement et les activités de cinéma itinérant … Enfin, les personnes qui ne remplissent pas les conditions des stagiaires et des écovolontaires sont invités à faire des séjours écosolidaires. Pour pouvoir ouvrir des sessions (stages, écovolontaires, séjours écosolidaires) nous devons avoir environ huit personnes.

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