Patagonie : les manchots de Magellan

Chili : la traversée du mythe patagon (7) : « Bueno compleanos sénorita ». L’employé du terminal de bus me tend mon passeport avec un sourire complice.
J’ai 35 ans, je m’offre le bout du monde. Retour vers Puerto Natales en traversant de nouveau cette immense steppe peuplée de moutons. Courte halte à la même hospedajes où je commence à me sentir chez moi, je n’ai même plus besoin de me présenter. Le soir, je vais manger dans une petite auberge et trouve des gens, chilien pour la plupart le nez collé au petit écran. Pinochet est mort. Ça s’agite un peu à Santiago, il y a quelques coups de klaxon dans les rues de Puertos Natales. À l’intérieur de l’auberge, personne ne dit mot. Je finis par commenter l’actualité avec un Italien, seul touriste avec moi.
– “Que pasa ?” Lance-t-il dans l’espoir de les faire réagir.
– “Nada, nada, nada…”.
Il n’insiste pas, Il n’y a peut-être effectivement rien à dire. Nous sommes mal placés pour faire des commentaires. Le vent souffle toujours sur la Patagonie.

Punta Arenas
J’enfile les heures de bus direction el fin del mundo. Côté chilien pour commencer à Punta Arenas. Ce n’est pas encore le bout du bout, mais peu importe, cette idée me plaît, mon attrait pour les lieux isolés dotés d’une nature indomptable ne fait qu’accroître depuis mon arrivée en Patagonie en “pâte agonie” comme dit mon neveu, non vraiment il a du talent…
J’ose à peine imaginer à quoi ressemblent les hivers ici. Ce n’est pas possible, il faut être fou ou désespéré pour s’installer dans ce coin reculé de la planète. Pourtant il y a du monde. Punta Arenas est une ville active avec ses hommes d’affaires en costume trois pièces et cravate, sa jeunesse en traditionnel jean et pull et ses « bout dumondistes » polaire, pantalon à deux étages, chaussures de trek et veste dernier cris à fibres issues de la technologie de pointe pour lutter contre le froid !

Manchots de Magellan

Les quelques rayons de soleil d’un été qui arrive à grands pas, avec sa fête de Noël, réchauffent cependant les cœurs. Les rues sont décorées, les commerçants s’activent, c’est bientôt les vacances.
Je loge un peu à l’écart du bruit de la ville, dans une maison à la coquette façade de tôle peinte en vert. La maîtresse de maison, une jeune femme, loue quelques chambres aux travailleurs saisonniers et aux voyageurs de passage.
C’est une façon de voir des gens, m’explique-t-elle.
Elle a grandi à Punta Arenas, fréquente ses longs hivers froids depuis sa tendre enfance. Conversation à bâtons rompus autour d’un café dans un espagnol assez médiocre, mais finalement suffisant pour passer une agréable soirée.
Le lendemain, je vais voir une colonie de manchots de Magellan. Ces oiseaux nageurs s’ébattent sur la plage. Clopin-clopant, ils marchent à la queuleuleue à travers de hautes herbes et n’hésitent pas à prendre la pause devant les objectifs. Nous ne sommes pas plus de cinq sur le site, un vrai plaisir, même s’il fait un froid de pingouins à ne pas mettre un bipède dehors.

detroit de magellan Terre de Feu

Arrivée al fin del mundo
Encore de la steppe balayée par le vent, des estancias à perte de vue et des “peons” qui sur leur cheval rassemblent les moutons pour la tonte. Droit devant, la route, toute de terre battue et de graviers s’élance vers l’infini. Le bus roule des heures sur des amortisseurs déjà bien amortis, les tonitruantes vibrations sont toutes absorbées par les lombaires…A la moitié du trajet, après la traversée par bac du mythique détroit de Magellan, le passage de la frontière argentine au milieu de nulle part, il reste encore six heures de route. Le bout du monde se mérite !
Le bus s’arrête. Y-a-t-il un arrêt dans cette pampa inhospitalière ?
Manifestement oui. Deux hommes montent avec leur béret, ils semblent  sortir d’une vallée pyrénéenne. En l’instant de quelques secondes, je me retrouve en Ariège un jour de marché, me rendant tranquillement au collège. A Cadirac, le pépé du coin monte, avec ses paniers et ses bottes boueuses, le visage marqué par les années et la vie au grand air, laissant échapper un regard taciturne sous un béret noir.
Ils sont nombreux les Pyrénéens à avoir quitté leur terre au début du Xxe siècle, fuyant un milieu pauvre et austère dans l’espoir d’un avenir meilleur… Le regard fixé vers le nouveau monde, certains sont partis montreur d’ours à New-York, d’autres planteurs au Brésil ou éleveurs en Patagonie. Le béret avait été amené par les Basques. La tradition est restée.
Le port altier, les deux hommes prennent place, probablement fatigués par une longue journée, la peau fouettée par le vent le regard toujours aussi noir, mais avec cette pointe de fierté inhérente à la fougue de la jeunesse. Ils ne doivent pas avoir plus de trente ans. Y’a pas à dire, ils sont beau, là, au milieu de cette steppe stérile appelée Terre de Feu, lasso à la main et jean poussiéreux.
Terra de Fuega
Le sud de la cordillère des Andes suit une ligne d’est en ouest et non du nord au sud en Terra de Fuega. Tout au bout, se trouve Ushuaia. Il est 10 heures du soir, il fait encore jour.  Je ne peux pas m’empêcher de regarder encore vers le sud, par de-là “el fin del mundo” vers “el continente blanco”. Je regagne mon auberge, fait connaissance avec ma voisine de lit, une Belge, qui justement embarque pour l’Antarctique dans trois jours.

Laurence Dupont

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