Dans notre imaginaire, la loi de la jungle est associée à un monde sans pitié ultra compétitif, où chacun joue des coudes pour avoir une place au soleil. Et si cette image de la loi du plus fort n’était qu’une construction sociale ? Pablo Servigne, co-auteur de l’ouvrage « L’entraide l’autre loi de la jungle » déconstruit un mythe qui a la vie dure : un monde où seuls les plus forts survivent.
Qui est Pablo Servigne ?
Pablo Servigne se définit comme collapsologue et chercheur in(Terre)dépendant. Ingénieur agronome et docteur en biologie, il est connu pour avoir écrit avec Raphaël Stevens « Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes». Un ouvrage synthétisant les travaux de plusieurs chercheurs, qui envisage très sérieusement l’effondrement de notre civilisation dans un futur proche. Les auteurs y démontrent que le réchauffement climatique, le pic pétrolier, la raréfaction des énergies fossiles, le système financier hors sol, la mondialisation et la consommation sont autant d’ingrédients d’un monde complexe et interconnecté nous exposant à un effondrement systémique mondial. Une première dans l’histoire de l’humanité.
En même temps qu’il prenait conscience que la trajectoire de notre civilisation n’était pas viable, Pablo Servigne s’interrogeait sur le bouleversement que ce message, difficile à accepter, provoquait. Très vite, c’est alors posée la question du comment vivre avec ces mauvaises nouvelles. Les crises à venir vont-elles provoquer la guerre, un monde sans pitié à la Mad Max ? Ou, au contraire, vont-elles faire resurgir l’altruisme et la solidarité ?
Depuis l’écriture de « Comment tout peut s’effondrer », en 2015, Pablo Servigne a co-écrit d’autres ouvrages permettant d’apporter matière à réflexion sur le monde de demain : « Une autre fin du monde est possible » sorti en octobre 2018 et « L’entraide l’autre loi de la jungle » publié en 2017.
C’est pour nous parler de ce dernier ouvrage, que ce chercheur passionné par le thème de l’entraide était invité au salon Marjolaine, vendredi 9 novembre 2018.
Plongée au coeur de l’entraide
Pablo Servigne commence sa conférence en évoquant le buzz de certaines vidéos Yutube où des animaux s’entraident, parfois entre différentes espèces. Puis il ajoute : « Ce qui me fascine c’est de voir qu’on est fasciné par ces vidéos. » Notre imaginaire est plutôt habitué aux images du plus fort qui mange le plus faible. « On parle de la loi de la jungle comme d’un monde sans pitié. Or, avec Gauthier Chapelle, nous avons fait un tour d’horizon des recherches en cours, et nous avons trouvé de l’entraide à de nombreux niveaux ».
Au fil du discours de Pablo Servigne, le public découvre un monde tel que nous ne l’imaginions pas, tout du moins pour le néophyte. La forêt n’est plus un lieu de compétition à la recherche de la lumière, mais un système d’échanges et de coopération où les arbres les plus robustes alimentent en sucres des espèces plus faibles. La coopération avec les bactéries est également primordiale. Il existe des bactéries qui transforment l’azote contenu dans l’atmosphère en nitrates (Ndlr : comprenez engrais par nitrates). Ces mêmes bactéries trouvent refuge dans des racines. « Nous ne disons pas que la compétition n’existe pas, mais que l’altruisme est partout », souligne Pablo Servigne. Et de continuer « C’est merveilleux ce que l’on a découvert, cela a bouleversé notre façon de voir le monde. Depuis 3,8 milliards d’années, l’entraide est partout, tout le temps. »
Et l’être humain dans tout ça ?
« Déjà, le fait de nommer la nature montre que l’on en est séparé », explique Pablo Servigne. Pourtant nos liens aux autres espèces n’est plus à prouver, à commencer par notre interdépendance avec les bactéries. Nous hébergeons 100 000 milliards de micro-organismes sans lesquels nous ne pouvons pas vivre. « Nous sommes notre corps plus les bactéries », précise Pablo Servigne. Parmi les différentes espèces, homo sapiens sapiens est la plus sociable. « L’humain est au stade de l’ultra socialité. Nous sommes devenus sociable car bébé, nous sommes très vulnérables et dépendants d’un clan sans lequel nous ne survivons pas. » La solidarité humaine se glisse partout, même si nous l’avons perdu de vue. La Sécurité Sociale en est une forme, par exemple.
L’entraide dans les catastrophes
Des études ont démontré que le « chacun pour soi » en cas de catastrophe n’était qu’un mythe.
En 2005, lors de l’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans, le chef de la police a fait croire qu’il y avait des meurtres et des pillages pour favoriser l’envoie de policiers sur les lieux. Plus tard, ce chef de la police a avoué qu’il avait menti et les témoignes ont montré qu’il y avait eu beaucoup de solidarité entre les gens. Le premier réflexe en cas de catastrophe c’est l’entraide. « Les pénuries et les milieux hostiles favoriseraient l’entraide », souligne Pablo Servigne en insistant sur le fait que ceux qui survivent sont ceux qui coopèrent le plus et non le plus fort.
Pourquoi la population a cru le policier ? Parce que nous avons été élevés dans le mythe d’une loi naturelle sans concession où seuls les plus forts survivent.
Un monde de bisounours ?
Pablo Servigne nous décrirait-il un monde bisounours ?
Malheureusement, les êtres peuvent s’entraider pour faire la guerre. Et si l’entraide est le premier réflexe dans une catastrophe, c’est dans un second temps que la violence peut s’installer.
Alors, qu’est-ce qui va déterminer l’émergence de la violence ou de la solidarité ?
Cette question, complexe, n’a pas de réponse figée. Toutefois, le co-auteur de « L’entraide l’autre loi de la jungle » propose des pistes de réflexion notamment sur la puissance des histoires que les êtres humains se racontent sur leur propre destinée.
Il invite à repenser notre façon de voir le monde et les récits que les sociétés se racontent. « Notre imaginaire peut provoquer la violence comme l’entraide. » Dans une culture de l’égoïsme avec comme mythe celui de la loi du plus fort, vous allez vous méfier de votre voisin. Vous allez peut-être construire un mur. Le voisin, vous voyant ainsi agir, va également construire son mur.
Pour Pablo Servigne, il faudrait changer d’imaginaire, se raconter une autre histoire, différente de celle d’un monde compétitif et sans pitié, afin de mieux vivre les tempêtes à venir. « Nous avons deux jambes, celle de l’entraide et celle de la compétition. Le problème, c’est que la première est complètement atrophiée. Il est temps de redevenir compétent en altruisme et solidarité. Il existe trois ingrédients indispensables pour maintenir l’entraide dans un groupe :
– Le sentiment de sécurité ;
– Le sentiment d’égalité et d’équité. L’inégalité est hautement toxique.
– Le sentiment de confiance : L’entraide produit de l’entraide. »
Cette conférence, qui a débuté sur la coopération entre espèces dans une forêt, s’est terminée sur des sujets sociaux comme la toxicité d’une société inégalitaire. A la fin, un auditeur a posé la question suivante : « Et la politique dans tout ça ? Vous n’en parlez pas ? »
« Effectivement, la question politique est centrale dans ce sujet. Ça va venir… », a conclu Pablo Servigne.
Bibliographie
« Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes : de Pablo Servigne et Raphael Stevens. 2015
– « L’entraide l’autre loi de la jungle » de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle. 2017
– « Une autre fin du monde est possible » de Pablo Servigne Gauthier Chapelle et Raphael Stevens. 2018
Video de Pablo Servigne sur l’entraide
Lire aussi La collapsologie, on en parle