Lettre ouverte : halte à l’amalgame entre l’écovolontariat et le volontourisme !

J’écris cette lettre ouverte aujourd’hui car je suis très inquiète. Très inquiète au sujet du projet la loi sur la « Lutte contre certaines dérives liées au volontourisme. »

Que les choses soient claires, je suis consciente des dérives du volontourisme et de la nécessité de réguler le volontariat et je soutiens, en ce sens, le projet de loi.

Si je vous écris, c’est qu’à la lecture du projet, un flou sémantique me fait craindre que l’écovolontariat soit inclus dans le périmètre de cette loi. Or, ceci aurait des effets délétères d’un point de vue humain et écologique.

L’article 1 du projet de loi loi porte tort à tous ceux qui, engagés depuis des années dans la préservation de l’environnement, ont créé des structures permettant à tout citoyen, sans sélection aucune, de s’engager pour la protection de la planète.

Laissez-moi donc vous présenter l’écovolontariat, afin d’éviter tout amalgame malheureux.

Qu’est-ce que l’écovolontariat ?

L’écovolontariat n’est ni du tourisme ni du volontariat. L’écovolontariat est une façon innovante de voyager et de s’engager pour la protection de la biodiversité. Il s’est d’abord développé dans les pays anglo-saxons pour commencer à s’implanter en France il y a une vingtaine d’années.

Il existe aujourd’hui un fort engouement chez les jeunes, mais également les retraités qui voient dans l’écovolontariat une façon de voyager en phase avec le fameux Monde d’après auquel personnellement je continue de croire.

L’écovolontariat a depuis 2014 sa charte. Celle-ci a été élaborée à l’issue d’une consultation participative qui a réuni près de 400 personnes dont des écovolontaires, des structures d’écovolontariat,  des voyagistes écoresponsables, mais aussi des voyageurs, des citoyens, des étudiants et des associations environnementales.

Les discussions ont abouti à une définition de l’écovolontariat, à savoir : « Une action solidaire et participative qui consiste à aider, durant son temps libre, un projet lié à la préservation et à la valorisation de la diversité animale, végétale, environnementale, et culturelle. L’écovolontaire est un citoyen engagé et bénévole et ne peut, à ce titre, recevoir de contrepartie financière pour son action. “

Qui suis-je pour vous parler d’écovolontariat ?

Je suis investie dans l’écovolontariat depuis 15 ans. L’aventure a commencé par un tour du monde lors duquel je me suis engagée auprès d’associations de préservation de l’environnement, pour se poursuivre par la création de Cap sur la Terre, blog devenu référent sur cette nouvelle façon de voyager. Je travaille depuis plus de 10 ans avec différents partenaires qui proposent des missions d’écovolontariat et ai bien sûr participé à la charte élaborée en 2014.

Quels sont les impacts positifs de l’écovolontariat d’un point de vue humain, écologique et économique ?

Le soutien à des actions de préservation de la biodiversité

L’écovolontaire s’engage, en France ou à l’étranger, pour quelques jours ou plusieurs mois, auprès d’associations de préservation de l’environnement : étude d’espèces endémiques, refuges d’animaux sauvages, protection d’espèces menacées, reboisement, sensibilisation au public sur la destruction de la biodiversité…
Durant son séjour, l’écovolontaire est encadré par un professionnel afin d’accomplir sa tâche. Il ne s’agit pas de travail au sens juridique du terme, à savoir qu’il n’y a pas de lien de subordination, mais d’un engagement moral.
L’écovolontaire aide donc l’association grâce à sa présence physique, mais ce n’est pas tout. Souvent, notamment dans les missions internationales, une participation financière est demandée. Cette participation couvre au minimum la nourriture, le logement, l’encadrement et les frais éventuellement engagés par une agence. Dans la majorité des cas, un pourcentage de la participation est destiné à soutenir le projet.

Le soutien à des projets scientifiques

Les associations auprès desquelles les écovolontaires s’engagent, portent des projets scientifiques. Grâce à leur action, ils deviennent les « petites mains » de scientifiques, parfois encore doctorants, en contribuant, par exemple, à l’alimentation d’une banque de données sur une espèce animale. En analysant les données récoltées, les scientifiques sont en mesure de mieux connaitre une espèce et de donner des pistes pour la protéger. Des associations se sont créées pour étudier et protéger les récifs coralliens, sujet largement porté par la France aujourd’hui. D’autres travaillent sur la protection des tortues marines où participent au développement de techniques pour ramasser les déchets dans les océans.

Le soutien à un écosystème économique local

La participation financière de l’écovolontaire permet de pérenniser le projet porté par l’association. Grâce à cet apport, des emplois sont créés sur place, générant à leur tour un écosystème économique.

Malheureusement, avec l’épidémie de SARS-CoV-2, les associations, privées du soutien apporté par les écovolontaires, sont en difficulté, d’autant plus que dans une grande majorité de pays, elles ne bénéficient pas de subventions d’Etat. Non seulement elles ont du mal à financer leur projet, mais elles assistent à la reprise d’activités illégales, notamment en matière de trafic d’animaux sauvages.

Une expérience de vie qui transforme

Qu’ils soient étudiants, salariés, retraités, les écovolontaires (re)découvrent en partant en mission, la puissance libératrice d’un engagement dans une action qui a du sens.

Les plus jeunes s’ouvriront au monde, trouveront leur voie, les salariés sortiront d’un cadre parfois réducteur pour goûter à l’aventure et prendre un peu de hauteur, les retraités trouveront un nouveau projet de vie, les familles tenteront l’aventure et renforceront des liens autour des valeurs de l’écologie.
La plupart des citoyens engagés ressortiront de cette expérience avec un horizon des possibles élargi et l’énergie d’inventer un monde meilleur, écologique et solidaire.

L’écovolontariat a ceci de particulier qu’il ne demande pas de compétence particulière et qu’il donne la possibilité à tous de s’engager. L’informaticien pourra embarquer pour étudier les cétacés, juste par passion alors que rien professionnellement ne l’y prédestinait. L’écovolontariat, c’est l’ouverture des mondes, la rencontre avec l’altérité. 

A l’origine de cette proposition de loi, l’affaire des faux orphelinats du Vietnam 

Ces dernières années s’est développé le volontourisme, une forme de tourisme conjuguant voyage et engagement volontaire. Des structures qui ont voulu conjuguer tourisme et humanitaire ont fini par envoyer des volontaires sans expérience auprès d’enfants. Profitant de cette opportunité de financement, de faux orphelinats ont été créés au Vietnam. Ces dérives sont condamnables et, en ce sens, je le répète, ce projet de loi a tout mon soutien. L’humanitaire est effectivement une affaire de professionnels et n’importe qui ne peut pas être envoyé auprès d’enfants. L’humanitaire ne peut pas être du tourisme.

La machine médiatique s’est emballée et les loups se sont mis à hurler

Depuis l’affaire des faux orphelinats du Vietnam, la dénonciation du volontourisme est devenue une vraie machine à faire tourner les réseaux sociaux. 

Prenez un faux orphelinat, des enfants d’un pays pauvre, ajoutez des Européens riches en manque de sens ainsi qu’une organisation peu scrupuleuse, c’est le succès médiatique assuré !  Blogueurs et journalistes ont pris le train en marche pour traquer la moindre dérive dans toutes les formes de voyages engagés. 

L’écovolontariat a fini par tomber dans l’escarcelle et un malheureux amalgame avec le volontourisme a été fait. Les loups se sont mis à hurler sans distinction et dans toutes les directions. Tout n’était plus que fake et arnaque. J’ai pu sentir monter l’agressivité sur mes propres réseaux sociaux et, je vous l’assure, il faut une sacrée patience et un sacré talent pédagogique pour apporter de la nuance, expliquer que le monde est complexe.
Or, je le répète, l’écovolontariat n’est ni du tourisme ni de l’humanitaire !

Aujourd’hui, des structures proposant des missions d’écovolontariat ont appris, par hasard et sans avoir jamais été consultées l’existence de ce projet. Et à sa lecture, elles craignent tout simplement de perdre leur activité par une simple interdiction. Du jour au lendemain, alors qu’elles souffrent déjà beaucoup à cause de la crise sanitaire. C’est le coup de grâce.

Pourquoi l’écovolontariat ne doit pas être concerné par le projet de loi

Inclure l’écovolontariat dans le projet de loi proposé par Mme Anne Genetet, signifierait que toutes les missions proposées dépendraient de France Volontaire. L’écovolontariat deviendrait sans doute du volontariat au sens juridique du terme. Nous assisterions à une sorte « d’étatisation » de l’écovolontariat.

Or, aujourd’hui l’écovolontariat forme un maillage transnational composé d’associations, d’ONG, mais aussi d’entreprises, d’auto-entrepreneurs et d’individus. 

L’exclusion d’acteurs privés du secteur de la préservation de la biodiversité

Eh oui, il existe des auto-entrepreneurs, des entreprises qui vendent des séjours d’écovolontariat. C’est-à-dire qu’ils jouent un rôle d’intermédiaire entre des associations qui mènent un projet de protection de l’environnement et des écovolontaires. Ces femmes et ces hommes qui ont créé ces entreprises, sélectionnent soigneusement les missions d’écovolontariat et font en sorte qu’une partie du coût de la mission soit destinée à soutenir les projets portés par les associations.

Ces petites entreprises, comme toute entreprise, sont à but lucratif, à savoir que leur créateur en tire un revenu et rémunère des salariés. Il n’empêche que grâce à elles, un système économique est créé où il n’y a que des gagnants : des associations de protection de la biodiversité pérennisent leur projet ; des entrepreneurs français créent des entreprises ; des citoyens vivent une expérience de vie émancipatrice et notre planète ne s’en porte que mieux. 

Un écosystème économique où tout le monde y trouve son intérêt et qui répond à l’un des grands défis du XXIe siècle, à savoir : garder des activités économiques tout en préservant la biodiversité. 

N’est-il pas là le Monde d’après ? 

L’exclusion de certains profils de citoyens

Si l’écovolontariat devient du volontariat au sens juridique du terme, il est fort à parier qu’un certain nombre de profils d’écovolontaires soient tout simplement exclu du système. Mme Anne Genetet l’a expliqué elle-même, la demande d’engagement est forte et il y a plus de demandes que d’offres. Ajouter à cela, la consolidation d’une machine administrative à créer des cases et de la procédure et, de facto, une partie des citoyens désirant s’engager et plein d’énergie va se trouver exclue du système.
Or, le sentiment d’exclusion crée du ressentiment. Et le ressentiment est une émotion malheureusement néfaste pour la démocratie. 

La victimisation des écovolontaires 

Avec l’emballement médiatique sur le volontourisme et l’amalgame qui a été fait avec l’écovolontariat, les écovolontaires sont petit à petit passés du statut de citoyens engagés à celui de victimes. Rien de bon pour changer le monde et relever les défis d’aujourd’hui !

Par cette lettre ouverte, je demande à ce que l’écovolontariat ne soit pas concerné par cette proposition de loi.

Avec tout mon respect.

Laurence Dupont, Créatrice de Cap sur a Terre