La traversée du mythe patagon (1). Samedi 18 novembre Santiago. J’embarque dans un bus direction le sud. La Patagonie.
Trois jours plus tard, il apparaît, fier, les racines plantées au plus profond des entrailles de la terre, la cime flirtant avec les nuages à 2 860 mètres d’altitude. Le volcan Villarica. J’ai l’impression d’être face au Fuji Yama.
Le ciel est au beau fixe, le manteau neigeux solide sans être gelé et le vent faible. Les conditions sont parfaites, que demander de plus ! Je jette un coup d’œil furtif au sommet et baisse la tête. Mettre un pied devant l’autre et ne penser à rien me semble la meilleure attitude à adopter.
Nous amorçons l’ascension, en file indienne en traçant des “Z” sur le flanc du volcan. Les yeux fixés sur mes chaussures, je m’interdis formellement de lever le visage vers la pente. J’oublie ce sommet tant désiré…
« Accrochez-vous au souffle et vous tiendrez ! » répétait la Chinoise chez qui je prenais des cours de yoga à Tahiti. « Intériorisez-vous… vous n’êtes plus que ce souffle.»
Inspire…expire…inspire…expire… Je ne suis plus qu’un souffle qui gravit un volcan. Un souffle un peu lourd avec des gros godillons aux pieds, deux litres d’eau dans le sac, un piolet, des crampons de glacier et une combi de bibendom, mais un souffle quand même…
– On fait une pause !
– Yes !
– Vous êtes un bon groupe, c’est bien
J’aurai personnellement préféré être dans un mauvais groupe, avec une personne qui traîne derrière que j’aurai gentiment attendue par exemple.
A la quatrième heure de montée, je commence à ressembler au héros de « Bienvenue à Gattaca » qui veut changer le cours de sa destinée quitte à se faire péter la cage thoracique sur un tapi roulant de sport. La volonté contre le déterminisme génétique !
– Pause !
Celle-ci elle s’imposait, la tête commençait à me tourner. Au bout de cinq minutes, je n’ai toujours pas récupéré et le conteur des pulsations tourne à plein régime. Là, je pense m’arrêter, tout abandonner, à une demi-heure de l’arrivée. Je suis tellement abattue que je ne ressens ni frustration ni colère à l’idée de ne pas voir le cœur battant de la Terre.
Mon ami Mapuche
Le guide m’encourage. Arrivée au sommet, il me serre très fort dans ses bras.
– Regarde cette plaine, ces lacs et ces vallées, c’était le territoire de mon peuple, les Mapuche…
Mapuche, ce nom qui n’évoquait jusqu’alors qu’une vague tribu indienne fera à jamais échos à ce jour où le Villarica m’a hissée jusqu’à son sommet, dévoilant une bouche béante crachant de la roche en fusion. A chaque mouvement magmatique s’échappe un bruit sourd du cratère. Souffle créatif, chant des profondeurs, la respiration du volcan est source de vie comme de mort, la lave destructrice puis terreau fertile. Pulsations, grondements, battements, le volcan est un géant. Un géant tout droit sorti d’un mythe antique à la colère redoutée. Ses réveils soudains effraient. Aujourd’hui encore dans le monde des offrandes sont déposées sur les flancs des volcans actifs pour attirer leurs bonnes grâces.
– J’ai peur. La petite fille assise à côté de moi semble effrayée
– Tu as peur de quoi, m’enquis-je
– Du volcan
– Tu n’as pas à avoir peur, celui–là n’est pas dangereux
Mes explications ne semblent pas la rassurer. Il faut dire que le Villarrica est connu pour ses explosions.
Mon ami Mapuche filme le cratère.
Je le filme chaque jour depuis longtemps. Il n’est jamais vraiment tout à fait pareil.
Et peut-être qu’un jour, il se passera quelque chose. Quelque chose qu’il espère du plus profond de son être.
Les Mapu che, ces « gens de la terre » n’ont jamais capitulé devant les conquistadores. Ce n’est qu’au XIXe siècle, en 1883, après une longue résistance, qu’ils se plièrent à l’Etat chilien. Leur territoire passa de 10 millions à 500 000 hectares. Il y eut certes une embellie à la fin du Xxe siècle, notamment avec une loi indigène en 1993, mais aujourd’hui, alors que la lutte de ce peuple a repris, d’immenses domaines appartiennent à des multinationales.
La descente du Villarrica
La descente du Villarrica restera un moment cocasse et inoubliable, la plus belle glissade jamais réalisée… sur les fesses ! Un deux, trois, top départ : “C’est simple, vous vous élancez dans la rigole et pour freiner, servez-vous du piolet, c’est exactement comme en luge ” explique le guide.
Je comprends le pourquoi du comment de notre combinaison ridicule. 2 000 mètres tout chuss face à la pente ! Au départ, la rigole est parfaitement incurvée et légèrement glacée, un vrai plaisir. Puis elle se perd dans les bosses et la poudreuse. Les bibendom que nous sommes rebondissent au grès des irrégularités du terrain, à une vitesse proportionnelle à notre poids ce qui ne va pas sans provoquer quelques carambolages. Après un arrêt brutal dans la poudreuse, nous continuons sur nos pattes jusqu’à un « mur » qu’il est plus prudent de descendre sur notre postérieur. Plus le centre de gravité du corps est bas, moins pénible est la chute. Un, deux, trois, je ne respire plus et ferme les yeux. C’est parti ! La pente est raide, je prends beaucoup plus de vitesse que je ne l’aurais souhaité. Accrochée à mon piolet, dans un instant de lucidité, je ne l’utilise pas, ce serait la pirouette assurée ! Partir en cabrioles non contrôlées avec engin pareil serait même dangereux ! Droit devant, mon prédécesseur semble être en très mauvaise position, j’aperçois un amas neigeux duquel sort un coup une jambe un coup un bras dans total désordre. Chronique d’une chute annoncée, le gadin est inévitable. Une seule et unique idée m’obsède, le piolet, je ne veux pas finir sur le flanc d’un volcan avec un avec une lame plantée dans la gorge ! C’est décidé aux premières grosses secousses, je balance le piolet d’un côté et moi de l’autre. Bosse à midi, impact dans quelques secondes. Décollage et atterrissage dans la foulée le nez planté dans la poudreuse. Le piolet et bien là où je le pensais, de l’autre côté. Opération réussie.